Un alibi hétérochrome

Dans cette nouvelle intitulée “Un alibi hétérochrome”, j’ai voulu démontrer que je pouvais raconter une nouvelle uniquement sous la forme dialoguée.

— Pourquoi ne pas avouer, Alexandre ? Ton mutisme te dessert, tu sais.
— Je n’ai rien à dire.
— Mais, bordel, tu veux que je te rappelle les faits qui te sont reprochés ?
— Fais-toi plaisir.
— Tu considères cela comme un jeu, n’est-ce pas ? Depuis qu’on s’connait, tu prends tout en dérision.
— Non, pas tout… Daminou.
— N’essaye pas de me prendre par les sentiments, Alex. Je sais ce que je te dois mais ça ne te sauvera pas.
— Je me rappelle pourtant tes belles paroles… Foutaise donc !

— Tu essayes de me culpabiliser, c’est ça hein ? Dis-moi ! … Non mais j’hallucine… Tu t’crois où là ? Oh ! Regarde autour de toi. Ce n’est pas le monde des bisounours, Alex. C’est la réalité et la tienne sera bientôt confinée à 4m², en compagnie de taulards habiles de la savonnette.
— Tu me donnes envie.
— C’est ça, fous-toi d’ma gueule ! Ce n’est pas moi qui risque la prison à vie … connard !
— Des insultes, maintenant. Garde ton calme, Damien. La colère n’est pas un argument, tu sais.
— N’m’la met pas à l’envers. Pas à moi ! Tu cherches le vice de procédure à plaider auprès de ton avocat. Mais ne t’inquiète pas, je sais maîtriser mes nerfs quand la situation l’exige.
— Dommage.

— Ce qui est dommage, comme tu dis, c’est ton silence alors que tout t’accable. Reconnais les faits de ton plein gré tant que tu le peux encore et le proc en tiendra compte.
— A quoi bon ? … Tenons-nous en aux faits puisque ma soi-disant culpabilité est déjà avérée.
— Parce que tu vas plaider non-coupable ?!
— Evidemment.
— Evidemment … Et comment vas-tu expliquer ce qui t’accable : ta présence sur le lieu du crime, tes empreintes sur l’arme du crime et, le plus flagrant, ce qui ne peut être réfuté même par le meilleur de avocats, ta présence sur la vidéo qui prouve ton geste mortel envers la victime ? Un coup de hachette, un seul, asséné directement sans aucune altercation. Si ce n’est pas prémédité, je n’y comprends plus rien !

— Je suis innocent… in…no…cent !
— Je veux bien te croire mais reconnais que c’est difficile tant il est peu commun de recourir à une telle arme blanche ? D’autant plus que tu n’utilises pas une hachette dans le cadre de ton travail.
— Il est vrai que j’aurais plutôt eu tendance à me servir d’un scalpel. Pour un médecin légiste ce serait plus approprié. Mais malheureusement ce n’est pas moi !
— Comme tous les meurtriers qui croupissent dans leur cellule : ce n’est pas eux.
— Mais, putain, puisque je te dis que ce n’est pas moi ! Pas MOI ! Merde ! … Montre-moi cette vidéo et, si j’en ai la possibilité, je te prouverai mon innocence.
— Techniquement, ce n’est pas possible.

— Mais tu le feras malgré tout sinon tu n’aurais jamais commencé ta réponse par « techniquement ». N’est-ce pas ? … Ose me donner tort.
— Je n’oserai pas … Bon, je lance la vidéo qui corrobore ta culpabilité. Arrête-moi dès qu’un fait étranger à notre connaissance t’innocente. Je ne demande pas mieux, sincèrement, mais jusqu’à preuve du contraire tout te désigne coupable.
— Lorsque tu verras, ma preuve te sautera aux yeux !
— Alors, je lèverai ta culpabilité tout en instaurant la paix en moi … Tu vois, c’est bien toi sur la vidéo, non ? 

— Patience et mon intuition me disculpera certainement !
— Ma patience a ses limites … 
— Regarde, là ! Tu n’as rien remarqué lorsque le soi-disant « moi » se retrouve dans le champ de la caméra ?
— A part qu’il regarde en direction de la caméra et qu’il n’a pas dû la remarquer, non, rien de surprenant.
— Tu ne verrais pas une preuve si on te la mettait sous le nez. Elle est belle la police… Fais un gros plan sur le visage.
— Regarde ses yeux, rien ne te surprend ?
— Putain, pourquoi ai-je raté ça ?! C’est pourtant flagrant.
— Oui quand tu sais où chercher.

— Ok, il n’a pas les yeux vairons mais qui me dit que tu ne portais pas ta lentille pour justement dévoiler cette différence.
— Tu sais que cela fait des années que je cache mon hétérochromie pour éviter les mauvais regards, sans faire de vilain jeu de mots, les insultes et les injures. Tu penses sérieusement que je serais assez con pour ne pas porter cette lentille alors que cette différence est une marque indélébile, comme une tâche de naissance ?
— Ça se tient, en effet… Alors qui est-ce ? Car il te ressemble énormément !
— Nous avons un secret de famille mais, en dehors de la présence de notre avocat, je ne dois pas le divulguer. Même entre nous, nous évitons d’aborder ce sujet.

— C’est donc la défense de ton avocat. Recourir à votre secret pour te disculper. Mais il ne pourra empêcher la justice d’œuvrer ensuite. J’espère que toi, lui, et même ta famille, en avez conscience.
— C’est une pratique courante pour ma famille, tu sais. La cécité de la justice a un prix. Par le passé, ma famille a déjà payé pour dissimuler ce secret aux yeux de tous. Même de la justice !
— Ce secret familial, ne serait-il pas assimilable au roman de Robert Louis Stevenson ?
— Comme tu l’auras deviné, notre famille a son Mister Hyde. Mon frère jumeau !

Cette nouvelle “Un alibi hétérochrome” prouve qu’il ne faut pas se fier aux apparences et/ou délivrer des conclusions hâtives.

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