L'itinéraire d'un enfant blessé

Dans cette nouvelle “L’itinéraire d’un enfant blessé”, j’ai travaillé à partir d’une sélection de mots puisés dans 3 extraits de romans. Après un brainstorming, il en découle cette nouvelle d’anticipation.

La campagne semblait avoir pris la fuite, dévastée par les orages nucléaires qui sévissaient encore. Alex, un jeune garçon débrouillard, parcourait une Amérique dévastée à la recherche de ses parents. En échange de corvées ingrates, il avait rejoint l’etamobile de marchands itinérants. Leur véhicule, fabriqué de pièces et de morceaux hétéroclites, regroupait plusieurs fonctionnalités : transport, vente et logis.
Alex se foutait de ce labeur. Cela lui permettait de parcourir de longues distances vers l’est, sa destination finale. Au moment de l’Holocauste, ses parents se trouvaient là-bas, où les villes importantes avaient été les cibles de missiles intercontinentaux. Devancée par de nombreux champignons nucléaires, la Mort ne devait pas les avoir épargnés. Seul, l’espoir le faisait avancer à son rythme. Sa nouvelle fare à une cadence plus rapide.

Le macadam, immobile serpent routier gris de cette petite vallée, n’avait pas été épargné par les impacts de foudre radioactive. Il était plus pratique de contourner le macadam torpillé. Parfois l’etamobile se codrivait dans la plaine pour éviter les anfractuosités. Il se manœuvrait à trois : un pilote pour diriger chacune des deux imposantes roues directrices, et un troisième pour manier les hélices démesurées. Le vent avait supplanté les carburants considérés dorénavant comme une évidente énergie fossilisée. Par temps venteux, les distances étaient avalées rapidement. En l’absence de ventanol, le véhicule était mû par la force humaine.

Le véhicule approchait de Holcomb. Les marchands troquaient leurs maigres possessions de localités en localités, contre des pièces de valeur identique ou des travaux. Ce village était situé sur les hautes plaines à blé de l’ouest du Kansas. Une région solitaire, plate, à la vue étonnamment vaste, coiffée par des montagnes rocheuses telles de grands chapeaux de feutre visibles bien avant que les marchands les atteignent. Les marchands espéraient y dégotter une nourriture saine très recherchée. Mais elle ne s’échangeait jamais. Au mieux, pouvaient-ils profiter d’un bon repas. Evidemment, l’argent n’avait plus cours. Peut-être l’aviez-vous deviné ?!

On ne lisait plus guère. Depuis l’holocauste nucléaire, la mémoire orale s’était substituée aux supports écrits pour sauvegarder les informations éradiquées lors d’incendies dévastateurs. Le papier avait davantage une valeur calorifique. Les livres ne constituaient plus qu’une source de chaleur. A la préservation des connaissances, les survivants avaient privilégié une volonté indéniable de survivre durant ces putains de soirées d’hiver branques, sombres et glaciales.

Pierrot, le petit messtot (ou cowboy dans le parler très local hérissé d’un accent de cette plaine), trempait son soulier gauche dans une flaque d’eau salingue. Les dernières pluies avaient rempli les cavités du macadam. L’eau s’y corrompait en stagnant. L’etamobile pénétra dans le village et s’arrêta sur la place centrale. Pierrot sourit. Il délaissa son aire de jeu pour se rendre auprès du véhicule. La venue de ces marchands représentait pour lui, comme pour les autres habitants, mais surtout pour lui, un divertissement bienvenu.

Les marchands s’affairèrent à l’installation de leurs étals, sous les regards interrogateurs des habitants qui se regroupaient autour. Que proposeraient les marchands cette fois ? Des outils, des fournitures hétéroclites, des matières premières, des denrées plus ou moins comestibles ? Pierrot se désintéressait des nouvelles qu’ils pouvaient colporter. A la différence des adultes, son désir se reportait sur les jouets. Pierrot l’espérait pour améliorer les activités ludiques d’un quotidien maussade. Le dernier, une moitié de chiot en peluche carbonisé aux pattes et au museau, avait été élimé depuis longtemps. Mais pas de jouets cette fois. Déçu, il quitta ce rassemblement commercial. C’est à cet instant qu’il aperçut cet adolescent au sac à dos. Un éclat attira son regard. Attaché sur son sac, par un fil de fer rouillé, un rétroviseur brinquebalant reflétait un ciel bleu dur et son air d’une pureté de désert.

— Bonjour ! héla le jeune garçon. Dis, tu as des jouets dans ton sac ?
Alex se retourna pour découvrir qui l’avait interpellé.
— Non, mon p’tit, répondit l’adolescent.
Dans son sac, il y avait le strict nécessaire.
— Pas de jouet alors ? tenta le garçon.
Il se désespérait de remplacer son chiot par une peluche en meilleur état. Ou un jouet dans une matière beaucoup plus résistante. Alex s’abaissa à la hauteur du garçon et lui posa une main sur son épaule droite.
— Hélas, non. Désolé. Juste des objets personnels.
Pierrot baissa la tête. Son air triste ne laissait pas Alex indifférent, qui lui proposa un objet de son sac. Un air joyeux, plein de vie, s’afficha sur le visage du garçon. L’adolescent ouvrit son sac et y chercha un objet susceptible de faire plaisir au garçon. Il en ressortit une lampe de poche.—  Cette lampe fonctionne toujours, expliqua Alex. Mais je n’ai pas d’autres piles. Fais-en bon usage !
Enthousiaste, Pierrot le remercia. Le mozg plein à péter de lumière couleur métal de fusil, il repartit dare-dare annoncer la bonne nouvelle à ses parents.

Cette complaisance redonna de la vigueur à l’adolescent. A son niveau, il avait été capable de redonner de la joie à un jeune espoir de la race humaine. Cet échange avait revigoré Alex. Profondément. Il remit son sac sur l’épaule. Avec une détermination confortée, il se dirigea vers les bains. Pensée vers ses parents. A leurs retrouvailles certaines.

Lexique :

Codriver : conduire un véhicule
Etamobile : véhicule de marchands
Fare : famille
Mozg : tête
Ventanol : surnom donné à l’énergie éolienne

“L’Itinéraire d’un enfant blessé” rejette la fatalité et prône l’espoir dans chaque action, si minime soit-elle.

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