Les accords de la Bastille

Dans cette uchronie*, je vous emmène dans une autre réalité où la France n’aurait pas subi la Révolution Française en 1789, avec les conséquences induites par la disparition de cet événement.

Retransmission, depuis Versailles, des festivités qui commémorent les Accords de la Bastille. Deux présentateurs distillent les informations tout en décrivant ce qui se passe.

— Françaises, Français, Pierre, bienvenue en ce jour anniversaire du 14 juillet 1989. Le gouvernement s’est réuni à Versailles afin de commémorer le bicentenaire des “Accords de la Bastille” par des festivités populaires.
— Merci Véronique. Bonjour à vous chers téléspectateurs et merci de nous suivre en direct depuis ce château. Puissent ces festivités magnifier le règne du roi Michel IVème du nom !
— En tout cas, la décoration semble le confirmer. Le château s’est paré de jeux de lumière tricolores. Des oriflammes aux couleurs nationales encadrent les colonnes qui soutiennent le fronton de l’entrée principale. Au-dessus de celle-ci, une ribambelle de petits drapeaux blancs dénombrent les pays membres du Royaume des Frances.
— Autre symbole fort de notre monarchie : les bonnets phrygiens. Ce symbole d’un changement révolu est toujours vivace. On se croirait dans un champ de coquelicots tant de têtes en sont couvertes.

— Et si vous me permettez de revenir sur ses états membres, Véronique, une soixante-quinzième fleur de lys devrait s’ajouter sur notre drapeau pour symboliser l’adhésion d’un nouveau pays au Royaume. C’est tout du moins ce que corrobore la présence du chef d’état du Bhoutan.
— Le Royaume des Frances s’étire vers l’Est, Pierre. Pensez-vous que la Chine se sente menacée ?
— Je ne saurais dire, Véronique. Mais laissons cette question en suspens alors que les premières voitures officielles déposent les invités. Avec à l’honneur, le Président du Bhoutan et son épouse. Suivis par les Gouverneurs de la Colonie Française de Louisiane et  celui des Provinces du Québec.

— Avec la présence de tous ces gouverneurs, notre belle langue, notre culture et notre mode de vie rayonnent à travers le monde. Je n’ai pas peur d’annoncer que je suis fier d’être Français ! Notre hégémonie n’aurait pu être si nous avions perdu la bataille de Trafalgar. Un coup dur pour les Anglais.
— C’est peut-être eux qui rayonneraient actuellement sur le monde, Pierre. D’ailleurs, je considère la clémence du roi inappropriée.

— Moi, j’y vois un geste fort de notre monarchie et de nos relations diplomatiques avec l’Angleterre. Vous savez, Véronique, depuis l’exil du gouvernement de Georges III puis la construction de la ligne Maginot, une ceinture de fortifications tout le long des côtes anglaises, les Anglais vivent en totale autarcie, reclus sur leur “île-prison”, avec une pression militaire constante de notre part. La présence de la Reine Elisabeth II à ces festivités ne peut être que les prémices d’une nouvelle relation franco-anglaise.
— Espérons-le. Quoiqu’il en soit, Pierre, merci d’éclairer mon ignorance dans les relations diplomatiques. Je dois reconnaître qu’il lui sera plus aisé de gouverner son peuple dans son pays que depuis son refuge en Colombie-Britannique.
— Une chance pour elle que cette dernière province anglaise ne fut pas rachetée par le Royaume des Frances.

— Je me permets de vous interrompre, Véronique et Pierre, pour vous informer qu’à la surprise générale, une guillotine est en cours de montage dans la cour intérieure de la Bastille. Aucun nom n’a fuité mais il se pourrait qu’un pédophile soit émasculé – si je puis dire – dans les prochaines heures !
— Merci de votre intervention, Nathaniel. N’hésitez pas à nous interrompre à nouveau si vous obtenez le nom du futur condamné.
— Voilà des réjouissances comme les aime le peuple.
— En effet, Pierre. Mais ça ne me surprend pas de notre Roi. Il a toujours été populaire pour sa simplicité, sa sincérité, sa magnanimité et son comportement favorable envers les Français. J’espère qu’on l’affublera d’un sobriquet comme le Juste.

— On explique l’Histoire aux téléspectateurs et on en oublie de commenter l’arrivée des derniers invités. Le Gouverneur de l’Inde rejoint les convives pour la photo traditionnelle. Ils seront ensuite conviés à un cocktail afin de patienter jusqu’à l’arrivée du roi Michel. Retrouvons d’ailleurs sans tarder notre correspondant à la Bastille. Alors Nathaniel, notre monarque a-t-il commencé son rituel ?
— Oui Pierre. Pour ce bicentenaire, le roi a décidé d’aller à l’encontre du protocole en se rendant seul à la Bastille afin d’y procéder à une reconstitution historique de la reddition des révolutionnaires, telle que les historiens nous l’ont rapportée. Alors, certes, la signature des Accords de la Bastille sera effective bien plus tard, mais cet évènement marque un tournant important pour notre royaume.
— Nous l’avons déjà suffisamment évoqué, Nathaniel.

— Je vous prie de m’excuser, Véronique. L’instant est tellement solennel que je m’égare dans des explications inutiles car connues de tous… Le roi Michel s’avance vers une barricade érigée pour l’occasion, derrière laquelle l’attendent sa femme, notre chère reine Florence, et la Dauphine, leur jeune fille Emeline. Ils n’ont pas revêtu les costumes de l’époque. Le couple a simplement ajouté à sa tenue contemporaine des symboles monarchiques. Un écusson à l’effigie du soleil pour le roi, et le bonnet phrygien pour la reine. Je vais vous raconter l’histoire au fur et à mesure que notre monarque la revit. Le roi Soleil est allé au devant des révolutionnaires, un panier rempli de victuailles, qu’il tend à un jeune affamé. En échange de cette nourriture, sa mère, attendrie par cette bonne fortune, émue, donne son bonnet phrygien à Louis XIV. Hésitant, il porte ce bonnet, ralliant finalement le peuple à sa cause. Quelques jours plus tard, il se réunira avec Marat, Danton et Robespierre, pour rédiger les Accords de la Bastille et sauver in fine la Monarchie. Voilà, la famille royale clôt cette tranche de vie historique, telle que je viens de vous la conter, par un bain de foule apprécié.
— Nous n’en doutons pas Nathaniel. Je ne me tromperais guère en décrivant une foule en liesse ici également. Une question me taraude : le Roi offrira-t-il à son peuple l’attraction macabre qu’il affectionne tant ?
— Oui mais pas de suite, Pierre. Un de ses proches m’expliquait que le Roi ne voulait pas ôter une vie devant sa fille. Mais ne vous inquiétez pas, le couperet a été aiguisé et il tranchera !

Ne vous méprenez pas sur mes orientations politiques, c’est davantage mon goût de l’Histoire, notamment de cette période, qui me poussa à écrire cette nouvelle et à imaginer les Accords de la Bastille.

*genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement passé.

 

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