Un larcin en deux actes

Dans “Un larcin en deux actes”, j’ai voulu mettre en garde sur la détermination des voleurs à commettre leur larcin en toute sécurité.

Encore une soirée entre amis. Le genre de réjouissance organisée chaque week-end, par le même couple cinquantenaire. Leur leitmotiv : un besoin irrépressible de s’entourer d’ami(e)s pour combler une solitude trop envahissante. La plupart des convives n’éprouvaient à leur égard qu’une amitié intéressée, souvent suscitée par des besoins occasionnels, comme Olivier et Magalie − je sais ce que vous vous dites, vous pensez à leurs amis comme des profiteurs, et bien vous avez évidemment raison, en toute objectivité. La présence d’Olivier et Magalie s’expliquait avant tout, respectivement, pour une cave bien fournie et des commérages en quantité sur lesquels médire toute la semaine suivante. Mais ce couple organisateur ne s’en souciait guère. Leur bien-être prévalait avant tout !   

Donc, en rentrant de cette soirée enrichissante pour Magalie et arrosée pour Olivier, ce couple eut la désagréable surprise de constater le vol de leur voiture de luxe.
— Nous aurions dû prendre la Mercedes, dit la femme, énervée. Tu veux toujours en mettre plein la vue à tes amis. Pourquoi être partis avec la 208 ?!
Emportée par son énervement naturel en cette circonstance, elle lâcha des grossièretés à son mari éméché.
— Pas ce ton là avec moi, chérie, répondit Olivier. Crois-tu que cela aurait changé quelque chose ?
— Je ne sais pas… Excuse-moi, mon cœur. Qu’allons-nous faire ?
— Prévenir la police et les laisser faire leur travail. De toute façon, à cette heure de la nuit, je ne vais pas leur faciliter la tâche.

Furieux, mais malgré tout courtois – on ne sait jamais comment va réagir la police – Olivier appela le service d’ordre compétent pour déclarer le vol de sa voiture de luxe. Bien qu’il ait une confiance aveugle en la police, il se ravisa et décida de prendre leur seconde voiture pour partir à la recherche du véhicule. Seul. C’était plus prudent. Olivier limita sa recherche au quartier, proche de la rocade.
La battue ne donnant rien, il rentra à bride abattue, abattu par cette virée illuminée par le sombre résultat.

La femme était partie se coucher. Mais, au retour d’Olivier, elle ne dormait toujours pas. Alitée, elle avait ressassé toute la soirée et avait songé à des élucubrations les plus loufoques.
— Alors, s’enquit Magalie.
Elle était trop angoissée pour compartimenter sa pensée dans une phrase complète. La négation gestuelle de son mari ne la rassura pas. Elle énonça alors son explication la plus plausible. Du moins, celle qui la réconfortait le plus.
— C’est peut-être Stéphanie qui a emprunté la voiture, suggéra Magalie à son mari. Elle ne nous a jamais rendu son jeu de clés.
— Je ne pense pas notre fille capable de faire ça, dit Olivier, surtout sans nous prévenir… Nous lui demanderons demain matin… A mon avis, elle serait davantage destinée à un réseau de pièces détachées vers l’Europe de l’Est… Ou destinée à la revente sur un marché africain quelconque… Enfin, peu importe. Il est tard, nous aurons tout le loisir d’en discuter demain. Essaye de t’endormir. Bonne nuit mon amour !

Le lendemain matin, à leur stupéfaction, ils retrouvèrent leur Mercedes. Devant le perron. Immobile.
— Comme dans mon rêve, se surprit à dire Magalie.
Devant la mine pantoise de son mari, elle lui narra dans les grandes lignes son histoire onirique. La pureté sensuelle des lignes fluides de la Classe-E Berline, ses chromes, son style ennobli par des matériaux somptueux avaient séduit un roadster, qui remontait la rue.  Il lui avait fait un appel de ses feux arrière pour lui intimer de le suivre. La Mercedes l’avait suivi, tout simplement. Elle s’était collée à son pare-chocs arrière, et ensemble ils avaient vécu une romance mécanique, sur le bitume, à travers la capitale.

Elle n’avait pas d’autre explication, sinon comment expliquer son retour – je pourrais en donner une plus raisonnée mais ce serait nuire à la santé mentale de mon personnage et je ne l’ai pas imaginée folle. Son mari lui prêtait toujours une oreille, sans une once de moquerie. Il décida de vérifier l’état du véhicule. Quand sa femme le rejoignit, il éprouva l’envie de la taquiner.
— On a fait son petit tou-tour, se moqua Olivier, en se penchant sur la voiture.
Ah, il n’avait pas pu s’en empêcher remarqua Magalie. Mais elle n’en prit pas ombrage. Elle trouva cette remarque amusante et tira la langue à son mari, qui s’apprêtait à poursuivre son inspection. Aucune égratignure ou bosse, seulement une enveloppe sur le pare-brise. Son contenu le laissa perplexe. Il tendit les deux billets à son épouse et lui lut la note :

« La voiture a été empruntée pour une urgence. Veuillez accepter nos excuses et ses deux places à l’opéra pour vous dédommager. »

Aucune signature ? Qui serait assez stupide pour revendiquer son méfait ? Telle fut la réponse du berger à la bergère. Inutile d’épiloguer. Quoiqu’un peu décontenancé, mais soulagé de retrouver sa chère Mercedes, Olivier considéra l’incident comme étrange mais somme toute bénin. Le mari informa la police sur l’étrange retour de leur véhicule et se renseigna si un méfait avait été causé durant la nuit. Aucun incident n’étant à déplorer la nuit dernière, le policier en conclut à une plaisanterie.

Quelques semaines plus tard, ils se rendirent à l’Opéra Garnier. L’emprunt de leur voiture avait été chèrement valorisé par leur emplacement : dans le parterre, face à la scène. Une fortune pour assister au « Il primo omicidio » ! Magalie jubilait sur son siège. Olivier restait impassible, comme s’il avait l’habitude d’assister à ce genre de représentation. Mais sa femme ne doutait pas qu’il éprouvait la même délectation. Il ne s’en départit pas durant les deux heures et vingt-cinq minutes que dura cet oratorio à six voix tant il les avait envoutés.

Leur retour fut moins prestigieux. Un mot accroché à la porte les ramena à une triste réalité : « Nous espérons que vous avez aimé la représentation. » En ouvrant la porte d’entrée, ils découvrirent l’impensable. Leur maison avait été entièrement dévalisée !

Cette nouvelle “Un larcin en deux actes” tente à mettre en garde contre l’ingéniosité de voleurs et qu’un vol peut en cacher un autre. Là se trouve la force de cette nouvelle…

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