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Un juteux lysat
Dans cette nouvelle, j’ai voulu inverser l’ordre naturel de la chaîne alimentaire. L’homme n’est plus un prédateur mais devient une juteuse nourriture pour une araneae.
Le cocon était désormais immobile. L’enfant ne vivait plus. Les sucs gastriques injectés dans son corps avaient dissous tous ses organes. Il n’était plus que liquide sanguinolent dans une carcasse inerte. Comme un de ses bonbons acidulés dont raffolait l’enfant. Enfin, quand il pouvait encore en manger. L’araneae, elle, se délecta de cette nourriture absorbée au moyen de son jabot aspirateur. Repue, elle frotta une chélicère contre un pédipalpe. Au moyen de ses deux organes stridulants, elle consentit à la mouche, son animal de compagnie, de se repaître de la carcasse. Cette goulue se jeta voracement sur cette nourriture. En moins de six minutes, l’enfant avait disparu.
En aspirant le contenu du cerveau, l’araignée eut conscience des derniers moments de la vie de l’enfant. Ceux d’avant sa capture.
— Entre, mon fils, exprima le père sur un ton confiant. Tu dois juste te rendre au fond de cette grotte (le père désigna son entrée sombre) et revenir avec ton bracelet d’initiation.
— J’ai peur, Père !
— Nous te l’avons déjà expliqué, Harden, poursuivit la mère calmement, tu n’as rien à craindre. C’est juste un rite pour ton passage dans l’adolescence. Tout le village a subi cette épreuve et bien d’autres encore jusqu’à l’âge adulte. Suis les instructions et tout se passera bien.
L’enfant se retourna. Derrière lui, attroupé en demi-cercle, les villageois espéraient patiemment son départ. Un refus, le bannissement. Et sans expérience, une espérance de vie limitée. Il aperçut dans cette masse silencieuse, son aînée. Par un encouragement gestuel, elle l’incita à partir. Harden regarda ce boyau sombre qui allait l’avaler. Il sourit à sa mère et chercha le courage dans les yeux de son père. Il partit sous les acclamations des villageois, accompagné par la crainte de ne pas revenir.
La source lumineuse produite par sa pierre magique n’éclairait qu’un cercle limité. Les ténèbres alentours ne se dissipaient qu’au rythme de la progression de l’enfant. Lentement. Une avancée saccadée par ses soubresauts à chaque bruit étrange, inquiétant. Sa mère lui manquait, elle, qui savait le rassurer par une parole douce et réconfortante. Il l’appela. Maammaaaaan ! Le silence en guise de réponse. Comme si les ténèbres avaient retenu son appel au secours. Harden pleura. A cet instant, son père le fustigerait s’il le savait aussi faible.
Un embranchement arrêta la progression de Harden. A gauche ou à droite ? Il ne se souvenait plus des instructions de son père. Il les avait pourtant maintes fois répétées. Et maintenant, son stress influençait sa mémoire. A gauche, le tunnel poursuivait son cheminement sombre, silencieux, angoissant. A droite, il lui semblait distinguer un halo de lumière, au loin. Baignée par cette luminescence colorée, la paroi du tunnel semblait prendre vie. Elle l’invitait à emprunter ce tunnel. Sans grande conviction, il s’y engagea. Au fur et à mesure de sa progression, le pas timide devint assuré puis une foulée et une course. L’espoir supplantait tout !
L’excavation naturelle qui s’ouvrait devant lui était baignée d’une lumière bleutée, émanant de champignons cavernicoles bioluminescents. Les parois de la grotte en étaient recouvertes. S’il avait été plus attentif aux recommandations de son père, il aurait su qu’il devait rebrousser chemin. Eviter cette zone. Mais son manque de vigilance, attisé par une curiosité plus forte, le poussa à l’explorer.
Harden fourra sa pierre magique dans sa botte, inutile désormais. Son regard s’attarda sur des colonnades devant lui. L’éclairage ambiant permettait de distinguer suffisamment les stalactites dont certains rejoignaient des stalagmites. Derrière, une pénombre quelque peu attirante. Le jeune garçon ne sut s’expliquer le sentiment perturbant ressenti.
L’enfant n’eut pas le temps de s’en préoccuper. Un bruissement dans son dos provoqua un sursaut. Une énorme mouche voletait dans sa direction. Il ne put l’éviter. Elle s’empara de lui, le souleva dans les airs et le projeta entre deux concrétions calcaires. Une toile interrompit sa course. En vol stationnaire, deux yeux à facettes surveillèrent la proie. D’un frottement de ses pattes avant, elle annonça le service. Mouvement sur sa gauche.
Englué dans les fils de la toile, Harden distingua du coin de l’œil une masse poilue s’avancer lentement hors de la pénombre. Si la mouche lui paraissait déjà énorme, il n’en était rien face à la taille démesurée de cette araneae. Il cria, se débattit, renforçant l’emprise gluante de ses chaînes soyeuses. Malgré son jeune âge, il comprit la fin qui serait sienne dans les minutes à venir …
L’araneae se félicita de son piège. Tel un misérable insecte attiré par la lumière, le garçon s’était retrouvé dans sa toile. Elle s’était délectée de cette nourriture. Elle s’exaspéra de ne pas avoir goûté cette substance liquoreuse bien plus tôt. Ainsi ces créatures existaient à l’extérieur. Lasse de ses repas gobelinoïdes qui pullulaient dans ces cavités souterraines. Exaltée, sa décision était prise : elle braverait l’œil-brûlant-du-dehors pour améliorer son régime alimentaire.
J’espère que vous avez frissonné à la lecture de ce “juteux lysat” parce que c’était bien mon intention : partager avec vous un voyage horrifique.
Très sympa on attend la suite ….
Merci Sandrine. La suite n’est pas prévue mais pourquoi pas ?! 🙂