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Un canevas haut en couleurs
Dans cette nouvelle, “Un canevas haut en couleurs”, j’ai explicité une technique d’écriture à travers un dialogue entre un professeur de lettres et un de ses étudiants.
Joli patchwork ! Telle fut la remarque de mon professeur lorsqu’il s’approcha de moi. Je feignais de ne pas comprendre l’allusion pour assouvir son désir de reconnaissance, lui qui était très imbu de sa personne. C’était peut-être justifié : il ne lui avait fallu qu’un roman pour le propulser parmi les dix écrivains de cette décennie. Malgré cette notoriété assumée, sa carrière littéraire se terminait par une retraite dorée : un poste d’enseignant. Certes, dans une université renommée, mais il se retrouvait néanmoins dans une impasse.
— Votre texte est très coloré, Michel, renchérit le professeur. Je suis étonné de découvrir ce procédé de travail chez un élève de première année.
— J’aime bien les couleurs, ironisai-je.
— Un élève de seconde année vous a instruit sur cette technique ? demanda-t-il.
A la manière dont il insista sur le verbe, sa détermination à me tirer les vers du nez se voulait inflexible.
— Pourquoi ? me renseignais-je.
— J’ai lu votre nouvelle, celle relative à votre organisation, répondit le professeur. Plutôt une dissertation si vous voulez mon avis. Mais peu importe. Vous vous astreignez à une discipline digne d’un écrivain, en tout cas telle qu’elle est prodiguée en seconde année. Donc, par rapport à cette seconde technique, vous attisez ma curiosité.
Son regard insistant ne tolérerait aucun silence, aucun mensonge. Il avait cette faculté à obtenir de ses interlocuteurs la vérité. Je ne savais que répondre. Certes, d’après lui, j’employais des techniques de seconde année pour rédiger mes nouvelles. Mais qui était-il pour me le reprocher ? Un petit scribouillard qui avait eu son heure de gloire, et dont la notoriété l’avait conduit à ce poste. Même pas capable de penser que mon sens de l’organisation pouvait être inné. Il aurait dû s’enorgueillir d’avoir dans ses rangs un élève avec de bonnes prédispositions à suivre ses cours. A écrire, en toute humilité. Je lui en tenais quelque peu rigueur avant de répondre.
— Je pratique ainsi le “patchwork” depuis que j’assiste à vos cours, Monsieur, et cette technique de couture est entièrement mienne, me risquai-je sur un ton sans équivoque. Je n’aimais pas être rabaissé par une personne qui transpirait de supériorité. Surtout lorsque sa vocation était de transmettre ses connaissances, non de les conserver par devers lui, comme un trésor caché. Je mettais alors un point d’honneur à me montrer très con. Mon arrogance avait fait mouche.
— Expliquez-moi vos couleurs, s’emporta le professeur. Son irritation transparaissait jusque dans sa gestuelle, dans son attitude paonesque. Je me gaussais intérieurement avant de lui répondre.
— Alors, ma nouvelle traite de la fonte des calottes polaires, d’une bactérie mortelle pour l’homme et d’expériences génétiques, indiquais-je. Ici, le rouge désigne une correction à apporter : trouver un synonyme ou une reformulation complète dans le cas d’une phrase. Par exemple, quel terme emploieriez-vous pour remplacer “la diminution accélérée” ? Sans lui laisser le temps de la réflexion, je continuais à satisfaire sa curiosité. Le vert renvoie au développement d’une idée. Si la limite quantitative de la consigne me le permet, je développerais les réactions des autres membres de l’équipage. Et, le bleu, un éventuel changement de position afin d’améliorer la lisibilité du texte.
— Je ne vois pas de paragraphe entièrement bleuté, remarqua l’inquisiteur scolaire.
— Vous insinuez donc que la structure de mon texte est parfaite, Monsieur ?
Mon aplomb avait au moins contribué à calmer son comportement guindé.
— Auriez-vous aussi cette prétention, Michel ?
— Non, Monsieur, loin de moi cette idée, rétorquai-je sans me laisser démonter par sa prestance inquisitrice. Lorsque j’ai terminé mon texte, je le relis une première fois en attribuant des codes couleur. Après correction, une seconde lecture me permet de vérifier la mise en forme. C’est à ce stade que je déplace éventuellement des paragraphes et que je juge le résultat obtenu.
Devant sa moue désapprobatrice, je concluais mon explication par cette maxime du philosophe grec Anaxagore : “Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau”.
— Votre érudition vous honore, Michel, mais ne confondez pas philosophie et littérature, répondit l’enseignant.
— Le commun des mortels citerait Lavoisier, “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme”, qui a simplement paraphrasé Anaxagore, rétorquai-je. Moi, j’aime me démarquer de mon entourage et l’instruire quand c’est possible. Piqué au vif, il chercha une échappatoire.
— Et ces feuilles volantes, désigna le professeur, à quoi vous servent-elles ?
— Ce sont des pense-bêtes, répondis-je en lui tendant l’une d’elles pour confirmer mes propos. J’y annote toutes les idées qui me viennent, en référence avec le texte sur lequel je planche. Le plus souvent, je les intègre à mon texte.
Je lui en tendais une rédigée à son intention. Il l’attrapa d’un geste agacé. Il parcourut silencieusement la phrase écrite : « Vivre pleinement ma renommée, plutôt que de me satisfaire d’une retraite dorée ! » Je fus surpris qu’il puisse la lire. Mes pattes de mouches symbolisaient la hâte avec laquelle je l’avais griffonnée, comme si je n’avais pas voulu perdre cette idée. Le froissement de cette note caractérisait une blessure dans l’amour-propre de mon professeur. D’une main, il l’avait chiffonnée, avec un air de défi. Oserai-je le relever ? J’étais tenté. Une seconde d’hésitation pour moi, une éternité pour lui. Je me ravisais. Me le mettre à dos serait une erreur. Lui présenterai-je des excuses ? Je ne pense pas. Ma provocation n’était pas injurieuse, encore moins irrespectueuse. Justifiée, de mon point de vue.
Le professeur reposa la boule de papier sur mon ordinateur portable puis s’abaissa à ma hauteur pour me susurrer à l’oreille un dernier avertissement.
— Votre impertinence me ramène 50 ans en arrière, quand j’étais à votre place, mais méfiez-vous car à trop vouloir frapper ses ennemis, on finit par donner des coups à ses amis !
J’espère que cette nouvelle “Un canevas haut en couleurs” vous aura éclairé sur le métier d’écrivain et une des techniques d’agencer un texte.