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L'aliénation d'un livre-tueur
Dans cette nouvelle, je parle d’un livre dont l’emprise a une influence néfaste sur les santés, physique et mentale, de ses lecteurs. J’ai voulu partager avec vous ma passion à l’égard du Maître de l’Horreur pour son oeuvre incroyable : H.P. Lovecraft.
Monsieur le Commissaire, permettez-moi de me présenter : Jean-Baptiste Delcroix, fils meurtri par la disparition récente de son père, bibliothécaire. Ce dénouement serait passé inaperçu s’il n’intervenait pas dans le cadre d’une affaire résumée par un titre aussi effrayant qu’improbable : “Coena Cypriani, le livre-tueur”.
Je me suis intéressé à sa médiatisation lorsque j’ai découvert que mon père avait mentionné cet ouvrage dans son entourage professionnel. Sans vouloir le glorifier, sa réputation de chasseur de livres anciens était attestée depuis des années. Je ne fus pas surpris d’apprendre qu’il avait été mandaté par un riche collectionneur pour rechercher ce livre rare et précieux du Moyen-âge.
Ne croyez pas que mon intention soit motivée par le simple ajout d’une énième victime aux milliers qui suscitent déjà de nombreuses enquêtes dans le monde. Je pense que les faits relatés dans les écrits de mon père permettront de conclure cette affaire. A condition d’être ouvert d’esprit. Je vous engage fortement à ne pas mettre en doute les événements qui m’ont contraint à vous solliciter.
Mon père, un homme pourtant érudit, rationnel et cartésien, se concentra à griffonner dans un calepin son expérience. Il recherchait une explication pragmatique à partir de ses observations. La seule dont il convint c’est qu’il n’en trouva aucune qui puisse confirmer les horreurs induites par cet ouvrage. Ne recherchez pas une quelconque preuve comme dans le roman d’Umberto Eco : les pages du livre-tueur ne sont pas enduites d’un poison, comme celles du livre d’Aristote, consacré au rire, et responsable de la mort de moines bénédictins.
La dangerosité de cet ouvrage provient de sa lecture et de son impact pernicieux sur l’esprit humain. Mon père éprouvait une envie irrépressible de lire cet ouvrage, qui surpassait tout le reste. Il en avait même oublié ce collectionneur. Ce qui fut, vous en conviendrez après la lecture de ce témoignage, salutaire pour lui !
Il était comme hypnotisé par cette prose, sa calligraphie, ou encore son enluminure. Tout dans cet ouvrage motivait une attirance malsaine, maléfique, emplie d’hallucinations. Les motifs des lettrines se mouvaient, s’entrelaçaient telles les tentacules d’un céphalopode multicolore qui emprisonnaient l’attention du lecteur.
Au fur et à mesure que mon père contemplait la Cène, cette enluminure se transformait pour révéler sa véritable nature. Le décor évoluait vers le sommet d’une pyramide, un temple peut-être, éclairé par plusieurs lunes sous un espace peu étoilé.
Les personnages bibliques laissaient place à des créatures dignes de nos pires cauchemars. Adam lévitait au centre. Son apparence sphérique était un mélange de bouches et d’yeux, englués dans un amas de matière grise grouillante de vie, surmonté de pédoncules plus ou moins longs dont les ondulations berçaient le regard. Eve était juchée sur un empilement de crânes humains. De son corps triangulaire apode partaient deux tentacules terminés par une pince apparentée à celle d’un crabe. A son sommet, un troisième s’élevait à une hauteur supérieure à un homme de grande taille. A son extrémité, des sortes de cornets acoustiques dispensaient une mélodieuse musique captivante.
Isaac se trouvait toujours sur l’autel mais il avait pris une forme canine. De sa gueule effilée et pourvue de plusieurs rangées de dents, pendait une langue oblongue. Son corps cadavérique se prolongeait d’une longue queue flexible terminée par le seul œil de cette créature. Mon père n’avait pas décrit les autres personnages bibliques tels qu’il les percevait réellement, ni leurs moyens pour établir le lien. Mais à n’en pas douter, ils étaient certainement du même acabit.
La nourriture, traditionnellement servie lors de tels festins, se composait principalement de cadavres humains, démembrés ou découpés, et présentés dans une abondance nauséeuse. Des humanoïdes, aux mains et pieds palmés, et aux yeux globuleux servaient ces « Entités » et remplissaient régulièrement leur coupe, dont le contenu était sans équivoque.
La santé mentale de mon père se détériorait à mesure qu’il se focalisait sur cet ouvrage. C’est comme si le livre se nourrissait de son esprit. Comme si un lien psychique s’était établi, aspirant son énergie vitale. Il discourait de manière incohérente et se comportait de manière délirante. Il se retrouva très vite dans une camisole pour se protéger de lui-même surtout. Malgré une abstinence volontaire, le lien n’était pas rompu. Mon père restait des heures dans des postures cataleptiques. Contemplatif, il scrutait la limite supérieure de son environnement laiteux, comme s’il attendait la venue de ceux qu’il nommait les « Entités ». Lors de ses rares moments de lucidité, il rédigeait et ordonnait ses notes.
Un mois plus tard, mon père s’était suicidé. Il ne voulait pas être donné en pâture à ces créatures ou, dans le meilleur des cas, être asservi. Il espérait d’ailleurs que je sois mort lorsque ces « Entités » régneront sur Terre.
Vous comprendrez donc que le “Coena Cypriani” est un ouvrage dangereux, dont la perversité n’est plus à démontrer. C’est un outil qui permettra à ces créatures de revenir sur Terre et d’y semer le chaos. Je comprends mieux ses lecteurs qui ont préféré mourir plutôt de que vivre les calamités suggérées par de telles créatures. Je vous conjure donc, Monsieur le Commissaire, dans l’intérêt de la race humaine, de prendre toutes les mesures nécessaires pour interdire la vente de ce livre.
Et si vous doutez encore de cette histoire extraordinaire, à l’instar de celles écrites par Alan Edgar Poe, sachez que j’ai lu cet ouvrage, disparu depuis. Peu importe ce qu’il est advenu. L’important est que je ressens poindre la folie. J’espère progresser suffisamment pour percer les secrets de cet ouvrage, depuis ma chambre capitonnée de cet asile psychiatrique.
J’espère que vous aurez apprécié mon univers horrifique ! N’hésitez pas à découvrir mon recueil de nouvelles pour le plaisir de vous évader.
Bonjour Michel,
Je n’arrive pas à communiquer autrement que sur cette nouvelle ! Je voulais te féliciter pour cette “nouvelle” aventure et te souhaiter bonne chance pour ton “paon de mauvais augure” qui ne le sera j’espère pas 🙂 ! Belle route à toi et on recueil ! Je continue à te suivre avec plaisir, ici ou sur l’EL !
Belle journée, Sabrina.
Bonjour Sabrina,
Merci pour tes encouragements. Ils sont très appréciés car la création de ce site m’a demandé beaucoup de travail. Et il en reste encore entre les modifications sur mes nouvelles, la création d’un blog littéraire et le travail sur mon recueil en amont de sa publication.
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