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Un lourd tribut
Dans cette nouvelle, j’ai voulu mettre en garde l’homme contre la Nature et le lourd tribut qu’il s’inflige à vouloir la dompter. Ainsi l’homme participe à sa propre déchéance.
— Eto, rapporte moi mon fusil, commanda Tamenund. Le lynx a encore décimé le poulailler !
Leur absence du campement pendant leur pêche matinale, sur le lac Champlain, avait contribué au massacre des poules.
— Non Père, rétorque le fils Mohican. Je ne vous suivrai plus, je n’aime pas ça. Eto part néanmoins en direction du wigwam pour y suspendre leur prise.
— Tout Mohican se doit de perpétrer les traditions de son clan, les rites sacrés et d’inculquer les pratiques de la chasse à ses descendants, explique le père. Ainsi, notre clan prospère et le Grand Esprit nous favorise de ses bienfaits. Le père réitère son ordre en courant jusqu’au lieu du méfait.
Tamenund lui a encore balancé son sempiternel discours sur la vie ancestrale des Mohicans. Eto défie son père en restant debout à proximité de l’entrée du wigwam.
— Ton frère respectait les coutumes, lui, éructe Tamenund, irrité par le refus de son fils cadet.
— Koam est mort ! crache Eto à la face mortifiée de son père. Vous semblez l’avoir oublié, Père. Pourtant vous me le rappelez tous les jours dès que vous en avez l’occasion, du lever du soleil jusqu’à son coucher. Avez-vous donc honte de votre dernier fils que vous le méprisiez à ce point ? Si Mère était présente …
— Respecte la mémoire de ta mère, l’interrompt Tamenund. Parfois, je regrette que ce ne soit toi, Eto, et non Koam ! Il se retient alors de ne pas lui administrer la correction qu’il mérite.
Eto serre les poings en pénétrant dans le wigwam. Après quelques instants, il le rejoint à contrecœur avec, à la main, le fusil de traite et la gibecière. Cette arme, très appréciée de son père, possède un canon lisse gros calibre aussi efficace chargé de plombs sur une dinde sauvage ou un lapin que chargé à balle sur un grizzly.
De la gibecière, Tamenund sort la poire à bec doseur. Il remplit le bassinet du fusil d’un peu de poudre avant de le refermer. Puis en verse dans le canon avant de la tasser avec la baguette de fer, disposée le long du canon. Il tend l’arme à son fils, par la crosse. Le canon est incliné pour que le père puisse y glisser la balle.
Tamenund s’affaire à ranger la poire dans la gibecière lorsqu’il est interrompu par le bruit caractéristique du chien qu’on arme. Il détourne le regard vers son fils et voit dans ses yeux toute sa détermination mêlée de haine et de rancœur.
Calmement, Tamenund passe la gibecière en bandoulière avant de reprendre brutalement le fusil à son fils. Avec l’aplomb qui le caractérise, il remet le chien en position.
— Partons, ordonne le père.
Koam avait toujours eu la préférence de son père. Depuis la mort de leur mère, Tamenund s’était investi dans leur éducation. Koam avait été très réceptif alors que le peu d’intérêt d’Eto exaspérait son père. Plus les relations étroites s’étaient confirmées entre Koam et Tamenund, plus Eto s’était retrouvé isolé par les corvées quotidiennes.
— Eto, installe le wigwam. Tu trouveras les perches d’érable à proximité de la rivière. Quand tu auras terminé de recouvrir le bâti avec les écorces de bouleau, tu parcourras la forêt pour …
— Je sais Père, avait coupé Eto, vous me confiez la construction du wigwam à chacun de nos déplacements. Mais vous, Père, que ferez-vous avec Koam ? avait ironisé le cadet.
— Ne sois pas insolent mon fils, avait rétorqué Tamenund. Cette tâche est dévolue aux femmes. Depuis la mort de ta mère, il faut bien que l’un d’entre nous s’en acquitte.
Koam, qui n’avait perdu aucune miette de leur conversation, avait profité du départ de leur père pour se rapprocher d’Eto.
— Prends garde à toi petit-frère. A trop accomplir les tâches de Mère, Père pourrait te mettre dans sa couche, avait lancé Koam en réprimant difficilement une envie de s’esclaffer. Il était alors parti rejoindre Tamenund, laissant son frère avec sa colère.
— Prends garde à toi, Koam, car toi, tu pourrais rejoindre Mère plus tôt que prévu, avait soliloqué Eto avant de débuter sa corvée. Au cours d’une nuit, lors d’un songe, Koam s’était présenté à son frère sous sa forme d’ours. Le Grand Esprit allait accéder à la supplique d’Eto, qui s’était abstenu de prévenir son frère, le lendemain.
Haut dans le ciel, le soleil inonde la région d’une chaleur accablante. A présent, la traque du lynx tourne en rond. Si la piste semblait évidente à proximité du campement, tant le prédateur avait éparpillé les preuves de son saccage, elle disparaissait au fur et à mesure de leur progression. Même si une carcasse sanguinolente a ravivé l’espoir chez son père, il ne persiste aucune trace de cet animal. Le sol est trop sec pour conserver quelconques empreintes. Pourtant, Eto éprouve la sensation déplaisante d’être suivi, épié, traqué comme si il était devenu la proie. Ce lynx jouait également avec ses nerfs. Peut-être devrait-il s’en occuper avant de tuer son père ?
Nouvelle pause. De sa position, Tamenund en profite pour admirer les Montagnes Vertes qui dentèlent l’horizon. Le bruissement des feuilles s’accompagne d’une brise légère, rafraîchissante en ce milieu d’après-midi. Des oiseaux piaillent, virevoltent, s’épuisent en tous sens, avec une certaine légèreté. Diverti, Tamenund ferme les yeux pour mieux s’accommoder de la forêt. Le clapotis paisible de la rivière proche entraîne progressivement le Mohican vers une perception accrue de son environnement. La nature était favorable à ceux qui la préservaient, comme lui qui avait accepté ce don lors de sa quête de son animal-totem. Koam l’avait acquis, quant à Eto, … Tamenund se concentre sur le bruit léger, répété et prolongé de la rivière. Un castor renforçait son barrage au moyen de branches incisées. Un cerf s’y abreuvait en toute insouciance, observant parfois les allées et venues de ce castor. Plus loin, une loutre s’amusait d’une truite brune – Tamenund en était sûr tellement la rivière en regorgeait – en l’entraînant dans une petite baie peu profonde. Une proie appréciée de ce mustélidé.
A cet instant, Eto ressent un sentiment peu rassurant au milieu de cette végétation. Derrière son père, il ressasse la dernière humiliation de Koam et se morigène d’avoir raté une belle occasion, plus tôt, avec le fusil.
Tamenund présentait son dos à Eto. C’était tentant. Telle une liste, son fils se remémore les gestes à exécuter pour tuer dans pareille situation. Dégainer son poignard. Se rapprocher furtivement. Enfoncer la lame entre les reins. Effectuer un quart de tour. Remonter sur quelques centimètres. Une mort assurée. Ou il peut simplement se contenter d’asséner une volée de coups, au hasard. Ou se satisfaire de son scalp. Mais, il y renonce autant parce qu’il ne maîtrise pas cette technique que pour ne pas assister à l’agonie de son père.
Eto met alors son plan à exécution avec la ferme intention de prendre une vie, comme son père lui a inculqué. Il serait fier de lui au moins une fois dans sa vie. Et tout se passe très vite… Un bruissement de feuilles… Un feulement rauque… Un bond… Un impact d’une douzaine de kilos… Un juron étouffé lors de la chute du jeune Eto… Une vive douleur… Tamenund se retourne pour apercevoir son fils, allongé au sol, son poignard dans le ventre, enfoncé jusqu’à la garde. A ses côtés, le lynx flaire le sang qui imbibait déjà la tunique d’Eto. Tamenund observait toujours le lynx roux, lorsqu’il pose une patte sur le corps de son fils et feule une dernière fois avant de déguerpir. Il s’interroge alors sur le comportement peu naturel de ce félin, comme si le Grand Esprit avait voulu lui venir en aide. En repensant à l’attitude d’Eto, le lynx lui avait peut-être éviter une mort assurée ?!
D’ordinaire vivante, la forêt devient soudainement silencieuse, comme figée. Tamenund reporte son attention sur Eto. Les yeux de son fils pleurent ses regrets. Ceux de son père, déjà embués de larmes, expriment son pardon. Eto rend son dernier souffle. Une paruline à ailes bleues s’envole d’un buisson proche. Pour Tamenund, ce passereau emportait l’âme de son fils dans le Monde des Esprits. Une maigre consolation face à l’existence prochaine du dernier des Mohicans.
Nos actes ont des répercussions parfois inaltérables à notre encontre ; la mort étant la plus douloureuse, triste et cruelle qui soit.
J ai eu plaisir à lire cette nouvelle. On est plongé assez rapidement dans l époque du récit. La nature est bien représentée et fait partie intégrante du décor. Belle écriture qui donne envie d aller au bout de l histoire. Bravo!
Malgré des répétitions en début qui alourdissent un peu la lecture, la suite et la fin sont fluides, et bien construites, agréables à lire.
Un peu trop de Mohican, peut-être. Mais ça ne retire en rien le plaisir que tu as eu à lire cette nouvelle. Merci pour cela !